Numérique et neutralité commerciale#

Informations

  • Atelier Numérique

  • Auteur : Mathieu Juvin, Inspé, UGA & Rectorat de l’académie de Grenoble, mise en forme par Philippe Dessus, Inspé & LaRAC, Univ. Grenoble Alpes.

  • Niveau : Atelier PE & SD

  • Date de création : Janvier 2020.

  • Voir aussi : Il est conseillé de lire, avant ou en parallèle aux documents ci-dessous le Document num:droit_info_soc.

Informations supplémentaires
  • Date de modification : 28 mars 2024.

  • Durée de lecture : 9 minutes.

  • Statut : En cours.

  • Résumé : Cet atelier a pour objectif de sensibiliser les enseignants à la question de la neutralité commerciale dans l’utilisation du numérique.

  • Citation : Pour citer ce document : Auteur·s (Date_de_création_ou_de_révision). Titre_du_document. Grenoble : Univ. Grenoble Alpes, Inspé, base de cours en sciences de l’éducation, accédé le date_d_accès, URL_du_document.

  • Licence : Document placé sous licence Creative Commons : BY-NC-SA.

Introduction#

Les neutralités religieuse et politique sont des exigences bien connues du métier d’enseignant. La neutralité commerciale l’est beaucoup moins et c’est l’objet de cet atelier de donner à lire des documents amenant une réflexion sur cet aspect. Son but est donc de faire identifier les dangers du numérique dans la formation du citoyen et des moyens de limiter la propagation d’usage standardisé du numérique.

Questions (réflexion individuelle)#

  1. Après avoir parcouru le corpus des 3 documents ci-après, identifiez les différents devoirs de l’enseignant dans sa neutralité commerciale ;

  2. Quel est la raison et le sens de ces différents devoirs ?

  3. Relevez les éléments montrant que le numérique n’est pas un outil neutre et détaché d’enjeux politiques ou économiques.

Questions (réflexion collective)#

Après avoir partagé les différentes réponses des questions ci-dessus, réalisez en groupe une affiche à partir d’un exemple concret du quotidien des enseignants en lien avec le numérique. Cette affiche comportera l’explication de l’exemple sélectionné, les enjeux et conséquences possibles, les limites en lien avec la neutralité de l’enseignant et ses devoirs, les possibles remédiations.

Corpus documentaire#

Doc. 1 : Les sorties de classe chez Apple#

Source : Franque (2018)

« Proposez une sortie de classe Apple à vos élèves ou à vos collègues enseignants pour leur faire vivre une expérience d’apprentissage inédite. Nos sessions pratiques leur permettront de découvrir comment se servir des produits Apple pour les mettre au service de leur imagination. » Sur son site internet, Apple propose ainsi aux écoles des sorties de classe gratuites dans vingt de ses Apple Store à travers la France. La firme américaine organise des visites de soixante à quatre-vingt-dix minutes avec initiation au code informatique.

Dans un reportage en caméra cachée diffusé mardi, un journaliste de France 2 a suivi une classe de CM2 d’une école publique de la région parisienne. A leur arrivée, les élèves sont accueillis par une haie d’honneur des employés puis reçoivent des tee-shirts avec le logo de la marque. De quoi provoquer l’interrogation d’un des enfants qui demande même ainsi à voix haute :

Je croyais qu’on n’avait pas le droit au placement de produits à l’école ?» Après l’initiation à la programmation sur les produits Apple, les élèves repartent avec une clé USB en forme de bracelet, toujours aux couleurs de la marque. Un des quatre formateurs – parmi lesquels on retrouve deux vendeurs selon France 2 – va jusqu’à déclarer : «Ça fait une super pub pour nous. Si jamais ça peut déboucher sur des ventes d’iPad pour les classes, pourquoi pas. Forcément, c’est une vitrine pour nos produits.

Pourtant, Apple a assuré à France 2 que le but de ces sorties était avant tout pédagogique et a réfuté toute visée commerciale. […]

En 2016, Paul Vannier, professeur d’histoire-géographie et secrétaire national du Parti de gauche avait déjà demandé à Najat Vallaud-Belkacem, alors ministre de l’Éducation nationale, de faire interdire ce type de sortie. Sur Twitter, elle lui avait répondu que “les enseignants utilisent leur liberté pédagogique de façon pertinente pour éviter les pièges commerciaux. Faisons-leur confiance ».

Aux Etats-Unis, Apple livre depuis des années une bataille commerciale avec ses concurrents Google ou Microsoft pour investir les salles de classe, comme le rapportait le New York Times en mars 2017. La marque offre même depuis quelque temps une «certification» aux écoles utilisant des iPad, des iMac ou autres produits Apple. Ainsi, la firme revendique plus de 400 écoles « certifiées Apple » dans 29 pays. Ce sont les écoles qui doivent faire une demande et, en “échange”, elles reçoivent des objets promotionnels pour communiquer sur cette collaboration, peuvent prendre part à des sorties organisées par les boutiques Apple des environs ou acceptent de recevoir des visites organisées par Apple dans leur établissement. Une offre disponible en France mais qui ne semble pas, pour le moment, avoir été adoptée par des écoles. »

Doc. 2 - Le monopole de Microsoft dans l’administration française#

Source : Hourdeaux (2013).

« Des dizaines de milliers de mails et de données personnelles : un hacker a pénétré les messageries des députés européens pour faire la démonstration des immenses failles dans la sécurité informatique de l’institution. Il met en cause le choix de Microsoft qui équipe le Parlement et les “comportements catastrophiques” des élus. Malgré le scandale de la NSA, bon nombre d’institutions restent des passoires.

Ce n’est pas la première fois que la sécurité des produits du géant américain et leur utilisation par des institutions publiques sont remises en cause. Cela fait même de nombreuses années qu’associations et experts s’insurgent contre le manque de vigilance des responsables politiques vis-à-vis de Microsoft, entreprise régulièrement accusée de laisser dans ses logiciels des “backdoors”, c’est-à-dire des vulnérabilités pouvant offrir un accès caché. […]

Il existe toute une littérature ancienne sur ces fameux « backdoors » que les autorités américaines imposeraient à leurs entreprises nationales afin de s’assurer un accès sur les produits vendus à l’étranger. Le parlement français s’était lui-même penché sur la question dès 2001, à l’occasion d’un rapport d’information de la commission de la défense sur « Echelon », un autre programme de surveillance mondiale de la NSA ayant lui aussi fait scandale à la fin des années 1990. Le rapporteur, Arthur Paecht, y explique notamment que des « spécialistes de la DGA (ndlr - Direction générale des armées) qui travaillent au centre électronique de l’armement (CELAR) à Rennes » lui « ont fait la démonstration […] de l’existence de failles ou de fonctions cachées dans certains logiciels ». […]

Avec de tels avertissements, on peut s’étonner que les administrations publiques, qu’elles soient françaises ou européennes, aient depuis continué, régulièrement, à choisir Microsoft. Surtout lorsque l’on sait que parmi les membres de la commission de la défense ayant enquêté sur le scandale Echelon, figuraient Jean-Yves Le Drian, Jean-Marc Ayrault et François Hollande, respectivement actuels ministre de la défense, premier ministre et président de la République.

Le parlement européen est loin d’être la seule administration à avoir décidé de faire confiance à Microsoft. La Commission européenne, qui s’était pourtant engagée à favoriser les logiciels libres, c’est-à-dire ouverts et ne dépendant d’aucune entreprise, est elle aussi équipée de logiciels de la société fondée par Bill Gates, et ce depuis 1993. Ce contrat, portant sur 36 000 postes, a été encore renouvelé au mois de septembre 2011, sans appel d’offres ni mise en concurrence. Et la France n’est pas en reste. Régulièrement, des institutions, souvent parmi les plus sensibles, décident encore de confier tout ou partie de leur parc informatique à Microsoft. L’exemple le plus marquant est sans doute celui du ministère de la défense. […]

Le contrat, que Mediapart a pu consulter a été signé par le ministère de la défense en Irlande le 24 février 2009, sans qu’aucun appel d’offres n’ait été passé. Il concerne au total 188 500 postes de travail, soit un montant total de près de 19 millions d’euros. La révélation de cet accord cadre avait provoqué la colère des associations de promotion du logiciel libre. En 2010, l’Aful (Association francophone des utilisateurs de logiciels libres) avait écrit aux parlementaires pour faire part de ses inquiétudes. “Est-il stratégiquement sage de donner à une société étrangère la main sur l’intégralité des systèmes d’information du ministère de la défense, indispensables à l’exercice de ses missions ?” s’interrogeait notamment l’association. »

Pour en savoir plus : - Nouvel appel d’offres du Ministère de l’éducation nationale pour 8,3 M€ de produits Microsoft (voir l’article du Canard Enchaîné du 9 septembre 2020). - Source : Pétition de l’April : Un partenariat indigne - Snowden, E. (2019). Mémoires vives. Paris : Seuil. - Le film “Snowden”.

Doc. 3 - La neutralité commerciale : texte officiel#

Source : BO n°14 du 5 avril 2001 – Code de bonne conduite des interventions des entreprises en milieu scolaire – MENG01005895C – Circ. n°2001-053.

Les établissements scolaires du second degré, mais aussi du premier degré, nouent de plus en plus fréquemment des contacts et des échanges avec leur environnement économique, culturel et social. Ainsi, les relations sont nombreuses avec les entreprises, notamment dans le cadre du développement des technologies nouvelles. L’article L. 423-3 du code de l’éducation autorise les établissements scolaires à créer des groupements d’intérêt public pour leur permettre de mener des actions destinées à favoriser l’innovation et les transferts de technologie et à concourir au développement économique et social local.

Néanmoins, les services de l’éducation nationale et les établissements scolaires sont également souvent sollicités par des entreprises qui souhaitent intervenir en milieu scolaire, afin de bénéficier des facilités d’accès à une population ciblée et captive envers laquelle elles ne poursuivent en fait qu’une stratégie commerciale.[…]

I - Respect du principe de neutralité Prolongement du principe d’égalité, la neutralité du service public impose aux autorités administratives et à leurs agents de n’agir qu’en tenant compte des exigences de l’intérêt général. Le principe de neutralité du service public de l’éducation nationale, rappelé notamment par l’article L. 511-2 du code de l’éducation, s’entend aussi de la neutralité commerciale comme le souligne un jugement, aux termes duquel l’organisation d’un concours d’orthographe dans une école par un établissement bancaire contrevenait au principe de neutralité scolaire (Tribunal administratif de Caen, 30 novembre 1993, Jean-Pierre Ponthus). Les établissements scolaires, qui sont des lieux spécifiques de diffusion du savoir, doivent respecter le principe de la neutralité commerciale du service public de l’éducation et y soumettre leurs relations avec les entreprises.

II - Publicité II.1 Interdiction de tout démarchage en milieu scolaire Plusieurs circulaires ont demandé de proscrire les campagnes publicitaires conduites dans les établissements scolaires (Circ. du 8/11/1963, n° II-67-290 du 3/07/1967 et n° 76-440 du 10/12/1976 relatives à l’interdiction des pratiques commerciales dans les établissements publics d’enseignement (RLR 552-6)). Elles rappellent que les maîtres et les élèves ne peuvent, en aucun cas, servir directement ou indirectement à quelque publicité commerciale que ce soit.

La distribution aux élèves par les personnels de l’établissement de publicités ou de questionnaires commerciaux permettant la visite de démarcheurs au domicile des parents d’élèves est interdite dans les établissements scolaires. De même, l’accès à l’établissement des représentants d’entreprises, qui souhaitent distribuer des documents publicitaires, doit être prohibé.

Ces instructions s’appliquent également à la distribution gratuite aux élèves ou à leurs parents de produits à finalité publicitaire (agendas, vidéocassettes). […]

III. Partenariat […] III.5 Le partenariat pour l’usage de produits multimédias

L’utilisation de produits multimédias par les établissements scolaires, à des fins d’enseignement, est libre. La consultation de sites Internet privés ou l’utilisation de cédéroms qui comportent des messages publicitaires ne sauraient être regardée comme une atteinte au principe de neutralité […].

En revanche, la réalisation de sites Internet par les services de l’éducation nationale et les établissement scolaires est tenue au respect du principe de la neutralité commerciale. Ce principe s’applique même si un partenariat a été conclu avec une entreprise, pour son savoir-faire technique.

Le site peut cependant comporter, si l’entreprise le demande, la mention de sa participation à condition que celle-ci intervienne dans le site et non de façon autonome, sous la forme de bandeau publicitaire. Si un lien vers le site Internet de cette entreprise est admissible, il doit être discret. Les mêmes règles s’appliquent dans le cas où le site de l’établissement scolaire comporte une rubrique consacrée à un travail pédagogique réalisé avec une entreprise.

Dans la mesure où le site Internet d’une entreprise privée présente un réel intérêt pédagogique, une coopération peut être mise en œuvre avec les services de l’éducation nationale pour encourager l’utilisation de ce site en milieu scolaire. La participation des services de l’éducation nationale, que ce soit sous la forme d’une aide financière ou d’une contribution à la réalisation du contenu du site, impose à l’entreprise le respect du principe de neutralité commerciale.

Pour en savoir plus :

Références#