La distance dans l’enseignement#

Information

  • Auteur : Philippe Dessus, Inspé & LaRAC, Univ. Grenoble Alpes. Le quizz a été réalisé par Émilie Besse, projet ReFlexPro.

  • Date de création : Mars 2015.

  • Résumé : La notion de distance est bien entendu cruciale dans les dispositifs d’enseignement à distance, mais ne peut se réduire à la distance géographique et temporelle. De plus, elle peut aussi se conceptualiser dans l’enseignement en présence. Ce document passe en revue quelques manières de considérer la notion de distance dans l’enseignement et les effets des technologies sur cette dernière.

Informations supplémentaires
  • Date de modification : 28 mars 2024.

  • Durée de lecture : 6 minutes.

  • Statut du document : Terminé.

  • Note : Une partie de ce document provient de [Dessus & Marquet, 2003].

  • Citation : Pour citer ce document : Auteur·s (Date_de_création_ou_de_révision). Titre_du_document. Grenoble : Univ. Grenoble Alpes, Inspé, base de cours en sciences de l’éducation, accédé le date_d_accès, URL_du_document.

  • Licence : Document placé sous licence Creative Commons : BY-NC-SA.

Introduction#

L’enseignement à distance a ceci de particulier, par rapport à l’enseignement présentiel, que les activités d’enseignement et d’apprentissage se réalisent dans des lieux (et parfois des temporalités) différentes, ce qui nécessite des technologies mais aussi des méthodes d’enseignement, particulières [Jacquinot, 1993]. La question de la distance est aussi un moyen de mieux caractériser les types d’interactions se passant entre l’enseignant et les apprenants, et entre apprenants.

On a pu recenser 6 types de distance (ce qui suit est tiré de [Jacquinot, 1993]) :

  1. La distance spatiale, géographique : lorsque l’apprenant, pour diverses raisons, est éloigné du lieu de l’enseignement (p. ex., pour raisons de maladie, d’emprisonnement).

  2. La distance temporelle : lorsque l’apprenant choisit de travailler à des moments propices (p. ex., en raison de son emploi du temps, de sa profession).

  3. La distance technologique : liée à la nécessaire adaptation des matériels utilisés (télévision, puis ordinateur) aux besoins et buts pédagogiques, mais aussi aux caractéristiques du public (p. ex., les non-voyants peuvent être exclus de certains dispositifs d’enseignement à distance si aucune fonctionnalité d’affichage en Braille ou synthèse vocale n’est présente).

  4. La distance socio-culturelle et la distance économique : liées à la possibilité que des publics souvent exclus des dispositifs d’enseignement en présence, pour des raisons sociales, culturelles et/ou économiques puissent suivre des formations adaptées à leur profil (p. ex., certaines formations à distance du CNED ou du CNAM, mais aussi les MOOC).

  5. La distance pédagogique : qui sépare l’enseignant de l’apprenant.

Garrison [Garrison, 2000] a montré qu’au tournant du 21e siècle les aspects structurels (liés à la géographie, au matériel) ont cédé le pas aux aspects interactionnels. Nous avons donc plusieurs théories de la distance, de celle mettant en avant la distance géographique, d’autres privilégiant la distance pédagogique. Nous allons en passer en revue quelques-unes dans les sections suivantes.

La distance de transaction#

Moore [Moore, 1993] pense qu’il y a une distance irréductible (à la fois physique, mais également intellectuelle) entre l’enseignant et ses élèves (une distance pédagogique, donc), qu’il appelle la distance de transaction (DT). Il ne cherche pas à montrer qu’un média (dans un contexte d’enseignement en présence ou à distance) est plus approprié qu’un autre dans telle ou telle circonstance, mais tente plutôt de rendre compte de ses effets sur l’enseignant et l’apprenant (ce qui suit est tiré de [Dessus & Marquet, 2003]. Deux paramètres déterminent la DT (cf. Figure 1) :

  • la structure du cours : « La structure rend compte de la rigidité ou de la flexibilité des objectifs éducatifs du programme, des stratégies d’enseignement et des méthodes d’évaluation » (id., p. 26) (i.e., ses possibilités d’adaptation aux élèves, la quantité d’informations optionnelles pouvant être fournies aux étudiants, le niveau du contenu délivré) ;

  • le dialogue (i.e., la richesse et la fréquence des interactions entre enseignants et élèves, ou interélèves). La DT d’une situation d’enseignement est d’autant plus grande qu’on minimise le dialogue tout en rigidifiant la structure du cours, et vice versa.

Figure 1- Les relations entre structure du cours et dialogue dans la distance de transaction (d’après Moore [Moore, 1993]). Le gris indique la distance.

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À ces deux paramètres s’ajoutent un troisième, indirect, l’autonomie des apprenants, c’est-à-dire le fait que ce sont ces derniers, plutôt que l’enseignant, qui déterminent les buts, les expériences d’apprentissage, ou encore les décisions d’évaluation du programme d’apprentissage. Cette autonomie, en règle générale, croît avec la DT. Plus précisément, Moore suppose que cette autonomie est d’autant plus grande que la structure et le dialogue sont faibles, et vice versa. Il apparaît donc que la DT sert bien à distinguer les différents dispositifs d’enseignement plutôt qu’à effectuer des mesures.

Cette notion est intéressante en ce qu’elle permet d’opérationnaliser la perception de distance par les apprenants et l’enseignant dans des situations d’enseignement. Plus simple que la notion de méthode d’enseignement, elle en est un sous-ensemble, sans faire intervenir des paramètres difficiles à évaluer, comme les finalités ou les objectifs d’un enseignement. Elle peut être aussi bien caractérisée dans des contextes d’enseignement en présence ou à distance. Toutefois, elle a été critiquée pour son manque de précision et la difficulté de pouvoir la tester [Garrison, 2000] :

  • les exemples donnés par Moore ne concernent que les effets de médias (matériel), et non de situations. Or, principalement, la flexibilité des objectifs et méthodes dépendent de l’enseignant et ne sont que faiblement contraints par les médias eux-mêmes ;

  • il est difficile de savoir, à lire son auteur, si la structure et le dialogue se distribuent sur un continuum, ou bien sont des variables discontinues (i.e., forment un tableau croisé) ;

  • la variable « structure » est difficile à déterminer quantitativement : les exemples donnés par Moore de programmes très structurés (i.e., programme diffusé par vidéocassette) prêtent à discussion, car il semblent plutôt être des exemples de cas où la variable « dialogue » est inexistante ;

  • enfin, cette même variable « structure » est difficile à mesurer dans l’absolu : elle ne peut se mesurer qu’en comparant deux types de discours d’enseignant pendant son cours. Des différences entre ces deux types montreraient un cours peu structuré, alors que de faibles différences montreraient un cours très structuré.

La présence dans les communautés d’enquête#

Garrison et Anderson [Garrison & Anderson, 2003] (voir [Jezegou, 2007] pour une présentation en français) formulent la distance d’un point de vue interactionnel (donc lié au dialogue), et ont identifié trois éléments-clés de toute “communauté d’enquête” (community of inquiry), c’est-à-dire, de tout groupe d’apprenants impliqués dans une démarche de construction de connaissances collaborative (voir doc. SAPP Construction de connaissances et apprentissage). À l’inverse de Moore ils vont tenter de définir ce que serait l’expérience de la présence, déclinée en trois sous-dimensions :

  • la présence cognitive, comme le degré auquel les apprenants construisent et assoient des connaissances par la réflexion et le discours dans une communauté d’enquête (id., p. 28), ce qui correspond aux différentes opérations cognitives impliquées dans la construction collaborative de connaissances (définir le but de l’enquête, phase d’exploration, de résolution) ;

  • la présence sociale, correspond à la capacité des participants d’une communauté d’enquête de se projeter socialement et émotionnellement en tant que personnes par le moyen de communication utilisé (ibid.), et réfère au climat du groupe (cohésion, communication, émotion) ;

  • la présence pédagogique (teaching presence) est la conception, facilitation et guidage des processus cognitifs et sociaux pour l’accomplissement de buts d’apprentissage signifiants et intéressants (id., p. 29), et est liée à la manière dont l’enseignant conçoit le dispositif, favorise le discours, et explicite le contenu (soit, resp., conception, facilitation et direction).

La Figure 2 ci-dessous résume ces trois types de présence et indique, en intersection, trois activités principales de l’enseignant : gestion du climat, aider le discours et choisir le contenu.

Figure 2 - Les types de présence selon la théorie de Garrison et Anderson [Garrison & Anderson, 2003].

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L’effet des technologies sur la distance#

Des chercheurs ont essayé de résumer l’effet possible des technologies sur la distance. Paquelin [Paquelin, 2011] montre qu’elles ont un triple possible effet, qui font qu’un apprenant à distance bénéficie d’un contexte très différent de celui qu’il aurait eu en présence :

  • de réduction temporelle : l’information est disponible de plus en plus rapidement ;

  • d’élargissement spatial : le territoire de l’action n’est plus géographique et l’accès à de multiples services à distance rapprochent le service de son utilisateur ;

  • de densification du social : les réseaux sociaux par internet accroissent les possibilités d’être en relation avec de nombreuses personnes (bien que certains [Turkle, 2011] ont montré les limites de cette caractéristique).

Quizz#

Question 1. Selon Garrison (2000), au XXIe siècle, les aspects structurels ont cédé le pas aux :

Question 2. Qu’est-ce que Moore (1993) appelle la « Distance de transaction » ?

Question 3. Selon Garrison et Anderson (2003), qu’est-ce que la présence cognitive ?

Références#

Dessus & Marquet, 2003(1,2)

Dessus, P., & Marquet, P. (2003). Les effets de la distance sur le discours de l'enseignant et le comportement de l'apprenant. Distances et Savoirs, 1(3), 337–360.

Garrison & Anderson, 2003(1,2)

Garrison, D. R., & Anderson, T. (2003). E-Learning in the 21st century. A framework for research and practice. New York: Routledge.

Garrison, 2000(1,2)

Garrison, R. (2000). Theoretical challenges for distance education in the 21st century: a shift from structural to transactional issues. International Review of Research in Open and Distance Learning, 1(1), 1–17.

Jacquinot, 1993(1,2)

Jacquinot, G. (1993). Apprivoiser la distance et supprimer l'absence ? ou les défis de la formation à distance. Revue française de pédagogie, pp. 55–67.

Jezegou, 2007

Jézégou, A. (2007). La distance en formation : cadre opérationnel pour caractériser la distance transactionnelle d'un dispositif.

Moore, 1993(1,2)

Moore, M. G. (1993). Theory of transactional distance. In D. Keegan (Ed.), Theoretical Principles of Distance Education (pp. 22–38). New York: Routledge.

Paquelin, 2011

Paquelin, D. (2011). La distance : questions de proximités. Distances & Savoirs, 9, 565–590.

Turkle, 2011

Turkle, S. (2011). Alone together. Why we expect more from technology and less from each other. New York: Basic Books.