Atelier - La menace du stéréotype#

Information

  • Atelier

  • Auteurs : Romain Laurent, DAPI, Univ. Grenoble Alpes & Philippe Dessus, Inspé & LaRAC, Univ. Grenoble Alpes.

  • Date de création : Novembre 2018.

  • Résumé : Ce document présente le phénomène de la menace du stéréotype, de nature à affecter aussi bien les interactions enseignants-étudiants (IEE) que la performance des étudiants.

  • Voir aussi : Voir le Document Atelier – Le sexisme à l’université.

Informations supplémentaires
  • Durée de lecture : 19 minutes.

  • Date de modification : 09 avril 2024.

  • Statut du document : Terminé.

  • Citation : Pour citer ce document : Auteur·s (Date_de_création_ou_de_révision). Titre_du_document. Grenoble : Univ. Grenoble Alpes, Inspé, base de cours en sciences de l’éducation, accédé le date_d_accès, URL_du_document.

  • Licence : Document placé sous licence Creative Commons : BY-NC-SA.

Qu’est ce que la menace du stéréotype ?#

Le concept de menace du stéréotype représente l’effet psychologique qu’un stéréotype peut avoir sur une personne visée par celui-ci. Face à certaines situations, un individu peut avoir la sensation d’être jugé à travers un stéréotype négatif visant son groupe ou craindre de faire quelque chose qui pourrait confirmer ce stéréotype. Dès lors, cela peut provoquer une diminution des performances de cet individu, dans un domaine où il est impliqué personnellement.

Ce phénomène a été mis en évidence par Claude Steele et Joshua Aronson (1995). Steele et Aronson s’intéressaient aux causes de l’échec scolaire des :index:minorités ethniques telles que les Africains-Américains. En effet, il existe aux États-Unis un stéréotype selon lequel les Africains-Américains seraient moins intelligents que les Européens. Steele et Aronson se sont dès lors intéressés à l’impact que cette croyance pouvait avoir sur la performance intellectuelle des cibles du stéréotype, notamment s’agissant de la crainte de confirmer le stéréotype, laquelle induirait une diminution des performances dans le domaine concerné par le stéréotype. Cette diminution de performance conduirait ensuite à renforcer rétroactivement le stéréotype.

La menace du stéréotype est donc la pression créée par le risque de confirmer ou d’être perçu comme confirmant un stéréotype.

Les principaux stéréotypes (liste non exhaustive)#

Depuis, la recherche sur les stéréotypes pouvant influer sur les performances s’est étendue et d’autres stéréotypes ont été mis au jour.

  • Les étudiants issus des minorités ethniques non-Européennes auraient de plus faibles capacités intellectuelle que celles de leurs homologues Européens (Steele & Aronson, 1995 ; Sackett, Hardison, & Cullen, 2004).

  • Les étudiants de milieux socialement défavorisés réussiraient moins bien à l’école que ceux appartenant à une famille aisée, de même qu’ils obtiendraient des résultats inférieurs dans les tâches intellectuelles (Croizet & Claire, 1998).

Au-delà de ces stéréotypes éculés mais vivaces, tout un chacun peut être la cible d’un stéréotype, y compris au sein de groupes dits “privilégiés” (ces résultats sont issus de recherches dans les pays Occidentaux).

  • Les hommes auraient moins de sensibilité sociale, définie comme la capacité à décoder le comportement non verbal, que les femmes (Koenig & Eagly, 2005).

  • les individus Européens auraient de moindres aptitudes athlétiques que ceux d’autres groupes ethniques, tels que les individus d’Afrique Noire, par exemple Lynch, Sjomeling et Darley (1999).

  • Les Asiatiques auraient de meilleures performances en mathématiques que les autres groupes ethniques (Aronson, Lustina, Good, Keough, Steele, & Brown, 1999).

  • La mémorisation décline avec l’âge (Chasteen, Bhattacharyya, Horhota, Tam & Hasher, 2005).

Méthodologie des recherches#

Les principales récherches ménées dans le domaine de la menace du stéréotype ont généralement repris la méthodologie de l’étude pionnière de Steele et Aronson (1995). Cherchant à déconstruire le stéréotype frappant les étudiants Africains-Américains, selon lequel ils auraient des capacités intellectuelles plus faibles que les autres, ces chercheurs ont mené différentes expériences qui ont toutes confirmé que les participants Africains-Américains, rendus plus vulnérables au jugement par des stéréotypes négatifs sur leur capacité intellectuelle, voyaient leur performance diminuée dans un test standardisé (SAT Reasoning Test).

  • Expérience 1 : les étudiants de deux groupes (Européens et Africains-Américains) passent un test de compétence verbale d’une difficulté assez élevée. Les participants sont répartis dans trois conditions. Dans la condition « menace », le test était décrit comme une mesure de la capacité intellectuelle (le stéréotype racial étant ainsi rendu pertinent). Les deux autres conditions (« pas de menace » et « défi ») n’activaient pas la menace du stéréotype car elles ne rendaient pas le stéréotype racial pertinent pour la situation. Dans un cas, le test était décrit comme une tâche de résolution de problème (condition « pas de menace »). Dans l’autre, les participants étaient incités à voir le test difficile comme un défi (condition « défi »).

Les auteurs se sont demandés si le fait de souligner le défi inhérent à un test difficile pouvait augmenter la motivation et la performance des participants. Comme ils l’avaient prédit, les auteurs ont montré que les participants Africains-Américains réalisaient une moins bonne performance lorsque le test était présenté comme mesurant leur compétence intellectuelle (condition « menace ») alors que ce n’était pas le cas des étudiants blancs.

  • Expérience 2 : Les auteurs ont voulu tester la possibilité que l’anxiété soit médiatrice de la menace du stéréotype, notamment en mesurant l’impact de la menace du stéréotype sur le temps passé sur les questions afin de mesurer l’impact de l’anxiété sur le temps passé sur celles-ci. Les résultats de cette étude ont permis de valider ceux de l’expérience précédente et ont aussi montré que la menace du stéréotype augmentait le temps passé sur chaque question

  • Expérience 3 : Cette étude souhaitait vérifier que l’annonce d’un test comme étant diagnostique des capacités intellectuelles amenait bien les groupes affectés par le stéréotype négatif à penser à celui-ci. En effet, comparés aux participants des autres conditions, les participants Africains-Américains qui s’attendaient à être évalués sur leur capacité intellectuelle, ont montré une activation cognitive plus importante concernant les stéréotypes raciaux et leurs capacités intellectuelles. Ils ont aussi eu une plus grande tendance à éviter les préférences racialement associées à un stéréotype, et à avancer des justifications pour leurs performances.

  • Expérience 4 : Les auteurs ont montré qu’il suffisait de stimuler l’identité raciale des participants Africains-Américains pour diminuer leur performance dans une tâche verbale difficile.

Cette méthodologie a été reprise pour l’étude de Spencer, Steele et Quinn (1999), relative à la menace du stéréotype affectant les femmes à propos de leur moindre performance en mathématiques :

Dans une première expérience, les participants, tous sélectionnés pour leur haut niveau en mathématiques, effectuaient des tests faciles ou difficiles. Les résultats ont montré que la performance des femmes était inférieure, mais uniquement lorsque les tests étaient difficiles. Si ces résultats sont cohérents avec les effets de la menace du stéréotype, des interprétations alternatives demeuraient possibles. Dans une seconde expérience, tous les participants ont effectué un test difficile mais dans des conditions différentes : certains pouvaient lire que ce test avait déjà montré une différence entre les femmes et les hommes ; les autres, que ce test ne montrait pas de différence. Les résultats ont confirmé l’effet de la menace : la performance des femmes était inférieure à celle des hommes lorsqu’elles pensaient que le test révélait des différences.

S’agissant d’une « moindre intelligence des classes sociales défavorisées », Croizet et Claire (1998) ont mesuré la performance à une tâche verbale difficile d’étudiants de bas et de haut statut social selon deux conditions différentes. Pour la moitié des étudiants (condition diagnostique), le but de l’étude était de mesurer la capacité intellectuelle à résoudre des problèmes verbaux. Pour l’autre (condition non diagnostique), le but était de tester plusieurs hypothèses sur le rôle de l’attention dans le fonctionnement de la mémoire lexicale. Les résultats ont montré que, dans la condition diagnostique, les étudiants de faible statut social avaient des performances moins bonnes que les autres étudiants alors que ce n’était pas le cas dans la condition non diagnostique.

En conclusion, dans la plupart de ces études, c’est donc en général l’activation de la menace qui provoque la moindre performance. Cette activation ne repose pas forcement sur une stigmatisation qui serait outrancière (« vous les noirs/blancs ; vous les femmes/hommes ; vous les vieux/jeunes, etc. » êtes « moins ou plus »), mais sur l’objet de la performance énoncée, lequel peut porter le stéréotype (e.g., la capacité intellectuelle).

A contratio, il existerait une augmentation des performances de l’endogroupe grâce au stéréotype négatif de l’exogroupe. Lorsqu’un individu sait qu’il va être comparé à un autre appartenant à un groupe dénigré par un stéréotype négatif, ses performances sont améliorées. Cette amélioration ne sera pas effective s’il est dit explicitement que le stéréotype n’est pas pertinent. On a donc une augmentation des performances causée par la conscience que l’exogroupe est négativement stéréotypée. Walton et Cohen (2003) ont montré que la comparaison sociale par rapport à un groupe inférieur induit une augmentation du sentiment d’efficacité, ce qui provoque une augmentation des performances.

Ce phénomène est surtout efficace lorsque la personne est identifiée au domaine visé par le test. En effet, c’est lorsque l’identification est importante qu’il y a un risque de doute et d’anxiété par rapport aux performances. Mais il existe aussi une menace du stéréotype positif. Lorsqu’un stéréotype positif de l’endogroupe est explicité juste avant un test dans le domaine, le risque est de ne pas confirmer la bonne réputation de son groupe ou d’être considéré comme un mauvais représentant de ce dernier (Brown et Josephs, 1999).

En pratique#

Les conditions d’apparition de la menace du stéréotype#

Steele, Spencer et Aronson (2002) ont réalisé une revue de la littérature dans laquelle ils ont synthétisé les conditions d’apparition de la menace du stéréotype :

  • L’appartenance au groupe concerné par le stéréotype doit être saillante.

  • Il n’est pas nécessaire que la personne adhère à ce stéréotype.

  • Le domaine concerné par le stéréotype doit être pertinent dans le contexte. Lorsque le stéréotype n’est pas pertinent pour la tâche à réaliser, qu’il n’y a aucun risque de le confirmer, les personnes ciblées par celui-ci ont des performances toutes aussi bonnes que les autres (Désert, Croizet, & Leyens, 2002).

  • Le test doit être diagnostique, c’est-à-dire qu’il permet de mesurer la véracité du stéréotype. la personne doit être investie dans le domaine concerné (i.e., qu’il faut que celui-ci soit une base de l’évaluation de soi pour la personne).

Le processus responsable de la baisse de performance#

Lorsqu’ils ont mis en avant la menace du stéréotype, Steele et Aronson (1995) ont postulé que ce phénomène provoquerait une augmentation de la pression due à l’évaluation et perturberait le fonctionnement cognitif normal. La diminution des performances était donc due principalement à l’:index:anxiété. Depuis, de nombreuses études ont tenté de valider cette première hypothèse ou d’étudier les autres médiateurs possibles du phénomène. De fait, la menace du stéréotype affecte le comportement de plusieurs manières (cognitivement, émotionnellement, motivationnellement).

  1. Sous la menace, les individus auraient moins d’attentes par rapport à leur performance. Cette hypothèse a été étudiée par Stangor, Carr et Kiang (1998).

  2. Steele et Aronson (1995) postulent que le fait de craindre l’évaluation négative à cause d’un stéréotype augmentait l’anxiété (notamment mesurée par la pression arterielle) et l’appréhension des cibles. Cette anxiété était la cause de la diminution de la performance.

  3. La question de la charge mentale : selon Wenzlaff et Wegner (2000), de manière paradoxale, l’effort effectué pour supprimer une pensée la maintient active. Or, pour effectuer une tâche difficile, les êtres humains ont besoin de toutes leurs ressources cognitives, et les pensées parasites nuisent à la concentration alors que l’efficacité de la mémoire de travail est critique dans les tâches intellectuelles complexes. Les efforts pour éliminer le stéréotype négatif seraient donc responsables de la diminution de performance. C’est effectivement ce que montrent Steele et Spencer (2002) : les femmes dans la condition menaçante tentent d’éliminer les pensées au sujet du stéréotype, ce qui les maintient actives, alors que ce n’est pas le cas lorsqu’il n’y a pas de menace. Aider le sujet à supprimer les pensées en lien avec le stéréotype permettrait donc d’augmenter les performances.

La Figure 1 ci-dessous schématise le processus.

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Figure 1 – Modélisation de la menace du stéréotype (Schmader, Johns & Forbes, 2008) par Paty73.Lamtao022 (source Wikipedia, art. Menace du stéréotype).

Pour réaliser de bonnes performances à des tâches cognitives et sociales, il faut que la mémoire de travail soit efficace (lien a). Les auteurs ont donc tenté de déterminer ce qui pourrait perturber la mémoire de travail et serait provoqué par la menace du stéréotype. Tout d’abord, la menace du stéréotype provoque des réponses physiologiques de stress (lien b), ce stress a un impact direct sur l’efficacité de la mémoire de travail (lien c). Ensuite, la menace du stéréotype induit une surveillance accrue des indices en lien avec le stéréotype afin de lever l’ambiguïté sur soi ou sur son groupe. Cela induit une plus grande surveillance de soi (lien d). Cette surveillance de soi consomme des ressources de la mémoire de travail (lien e). La menace du stéréotype provoque aussi une mauvaise évaluation de la situation (lien f), celles-ci induit des pensées et des émotions négatives. Cela provoque une motivation pour ne pas se comporter de manière conforme avec le stéréotype et des efforts pour éliminer les pensées négatives (lien i). Tous ces efforts consomment également des ressources de mémoire de travail (lien j). Concernant la performance aux tâches sensorimotrices, celles-ci sont considérées comme automatiques et seuls les processus de surveillance de soi les impactent (lien m).

Études françaises sur la menace du stéréotype#

L’étude Berjot et Drozda-Senkowska (2007), qui portait sur des étudiants de première année de psychologie, a cherché à comprendre comment les étudiants se perçevaient en fonction de leur origine sociale. En voici, in extenso, les discussions et conclusions.

Le but de cette étude était de mesurer le stéréotype des étudiants d’origine sociale défavorisée et favorisée. Non seulement parce que les étudiants représentent la principale population d’un grand nombre de recherches en psychologie, mais aussi parce que de plus en plus de recherches s’intéressent à l’influence de l’origine sociale sur le jugement et le comportement (Berjot & Drozda-Senkowska, 2003 ; Croizet & Claire, 1998 ; Regner et al., 2002).

“Les résultats obtenus ici apportent quelques éléments de réponses à nos questions de départ. Concernant l’existence du stéréotype associé aux étudiants d’origine sociale défavorisée, nos résultats, et en particulier ceux issus de l’analyse des associations libres, semblent indiquer que celui-ci existe mais est, comparativement au stéréotype décrit par la littérature anglo- saxonne, plutôt ambivalent. Ainsi, d’un côté les étudiants d’origine défavorisée sont décrits comme des personnes agressives et perturbatrices, des « racailles », des élèves peu doués pour les études et incultes, pauvres, ayant des difficultés financières et bénéficiant de l’aide sociale, en somme de la même façon qu’étaient décrits auparavant les « pauvres non méritants ». Mais d’un autre côté, ils sont aussi décrits à l’aide de caractéristiques habituellement attribuées aux pauvres « méritants », ceux qui travaillent et essaient de s’en sortir : ils sont travailleurs, courageux, déterminés et motivés. De plus, ils sont aussi décrits comme des individus qui n’ont pas eu d’éducation et de culture. Quoique le lien causal ne puisse être ici établi, il est possible que la raison principale de leurs moins bonnes capacités scolaires soit attribuée à un niveau d’éducation inférieur, ce que l’on pourrait interpréter comme une explication externe.”

“Mais si l’image associée aux étudiants défavorisés n’est pas foncièrement négative (ils sont moins intéressants et stupides, mais ils n’ont pas reçu l’éducation et la culture nécessaires ; ils sont moins doués pour les études mais sont travailleurs et courageux), les résultats obtenus dans la seconde phase relativisent ce tableau. Ils suggèrent que certes, le stéréotype existe, mais sa disponibilité en mémoire est relativement faible : peu de caractéristiques obtiennent des pourcentages supérieurs à 60 %. Ainsi, les étudiants d’origine sociale défavorisée sont surtout décrits comme des personnes courageuses, intéressantes, méritantes, travailleuses, déterminées, intelligentes et motivées. Si le stéréotype associé à ce groupe devait n’être déterminé qu’à partir de cette seule méthode, la conclusion serait qu’il est largement positif. Notons toutefois que ce critère des 60 %, même s’il peut paraître assez peu élevé, n’est que rarement obtenu dans la littérature, en particulier avec les traits négatifs (Brigham, 1971 ; Locksley et al., 1980 ; McCauley & Stitt, 1978). Il est possible que cette méthode induise davantage que les autres méthodes de résistance de la part des sujets à s’exprimer directement sur des caractéristiques négatives, ce qui pourrait expliquer ici l’image moins ambiguë associée aux étudiants d’origine sociale défavorisée.”

“Quant aux résultats issus de l’analyse du rapport diagnostic, tout dépend encore une fois de la sévérité du critère d’inclusion des caractéristiques au sein de l’image stéréotypée. Ainsi, si l’on inclut dans le stéréotype les caractéristiques qui distinguent les étudiants de chacun des groupes des étudiants en général, l’image obtenue est assez proche de celle obtenue avec la méthode de l’association libre et apparaît plutôt ambivalente et contrastée. Les étudiants d’origine sociale défavorisée sont plus agressifs et antisociaux, plus fiers et ont une moins bonne éducation, ils sont moins cultivés, mais aussi plus motivés, plus travailleurs et plus sérieux que les étudiants en général. Mais si l’on exclut du stéréotype les caractéristi- ques qui ne distinguent pas nos deux groupes d’étude l’un de l’autre, l’image obtenue est plus proche de celle que nous fournit la méthode des pourcentages, qui elle, est largement positive. Quant à savoir si ce stéréotype véhicule une image de l’étudiant défavorisé comme moins capable et moins apte à réussir sa scolarité, nos données sont encore une fois ambivalentes. En effet, si l’analyse de contenu ainsi que les rapports nous dépeignent des étudiants d’origine sociale défavorisée plutôt médiocres, décrits comme de mauvais élèves, moins doués pour les études, qui ont peu d’éducation et de culture, l’analyse des pourcentages nous dit aussi que non seulement ces caractéristiques ne sont pas très fortement associées à ce groupe mais qu’une forte proportion d’entre deux sont perçus comme intelligents et une faible proportion comme peu doués pour les études. Il semble donc que l’image que l’on associe aux étudiants d’origine sociale défavorisée, si elle correspond à celle décrite dans la littérature, ne soit pas une image très forte ni très négative (tout au moins au niveau de la disponibilité des caractéristiques en mémoire), évoluant peut-être vers une image plus positive de ce groupe, dont les frontières avec celui des étudiants d’origine sociale favorisée seraient de moins en moins nettes.”

“La troisième question à laquelle nous avons tenté de répondre concernait l’existence d’une image associée aux étudiants d’origine sociale favorisée. Au vu de nos résultats, qu’ils aient été obtenus à l’aide d’une méthode de libre réponse ou des pourcentages, nous pouvons répondre par l’affirmative. Cette image est d’ailleurs plus positive — les étudiants d’origine sociale favorisée sont perçus comme biens vus, ayant une bonne éducation, cultivés, bons élèves et polis, — que négative — ils sont aussi égoïstes, frimeurs, prétentieux et snobs. De plus, parmi l’ensemble des caractéristiques fortement représentées chez cette population, plusieurs relèvent de la dimension scolaire. Ce sont d’abord de bons élèves, cultivés et ayant une bonne éducation.”

“Ainsi, nos résultats montrent qu’il y a bien un stéréotype associé aux étudiants d’origine sociale défavorisée, que son contenu se distingue quelque peu de l’image décrite dans la littérature (notamment par des caractéristiques positives comme le courage et le travail), mais aussi que les caractéristiques négatives liées aux capacités sont soit exclues du stéréotype (moins intelligent) soit faiblement associées à ce stéréotype (moins bons dans les études, moins cultivés). Parallèlement, nos résultats montrent aussi qu’il existe un sté- réotype positif associé aux étudiants favorisés, particulièrement sur les dimensions intellectuelles et académiques. Ce constat à la fois un peu inattendu et contraire à l’image habituellement véhiculée, nous amène à nous interroger sur les effets de ce stéréotype de l’étudiant d’origine sociale défavorisée sur les perceptions et les comportements.”

“Une première hypothèse pourrait être que le contexte comparatif qu’introduit implicite- ment ou explicitement la majorité des études, active non seulement l’image associée à la catégorie défavorisée, mais aussi celle associée à la catégorie favorisée. Ainsi, si les étudiants d’origine défavorisée sont réputés moins bons à l’école, peut- être le sont-ils surtout par rapport aux étudiants qui eux sont réputés être bons, les étudiants d’origine favorisée.”

”Une autre hypothèse pourrait être que même si la majorité des caractéristiques que l’on associe aux personnes et à soi- même peut faire l’objet d’une évaluation dans l’absolu (elle est grande, je suis intelligente, etc.), elle est moins informative qu’une évaluation comparative (Brown, 1998). Cette dernière informe sur comment on se situe par rapport aux autres (elle est moins grande que…, je suis plus intelligente que…). Et la recherche de ces cibles de comparaison varie souvent en fonction de nos motivations (Wills, 1981 ; Wood, 1989). Ainsi, si notre objectif est de protéger notre estime de soi, habituellement, nous nous comparons à un groupe qui réussit moins bien que nous, alors que si nous souhaitons nous améliorer, nous nous comparons à un groupe qui réussit mieux que nous (Helgeson et Mickelson, 1995). De la même façon, il est possible que pour évaluer un groupe, nous ayons besoin de le comparer à un autre groupe. Comme pour la recherche d’informations sur soi ou sur autrui, la motivation ou le contexte social dans lequel s’établit le jugement à propos d’un groupe sont alors importants et, en influençant le choix du groupe de comparaison, peuvent aussi modifier l’image de ce groupe. D’où l’intérêt dans les différentes études consacrées aux groupes stigmatisés, de prendre en compte l’image associée aux membres des groupes valorisés. En effet, l’ensemble de ces recherches porte sur des groupes le plus souvent opposés : Noirs et Blancs, hommes et femmes, handicapés et non-handicapés…, dont certains bénéficient d’une meilleure image, toute comparaison ne pouvant qu’accentuer l’image négative des groupes stigmatisés.”

“L’image ambiguë et contrastée que nous avons obtenue ici peut être en partie expliquée non seulement par le contexte que ces comparaisons introduisent implicitement mais aussi par les différentes méthodes que nous avons utilisées. À cet égard, il nous paraît intéressant de poursuivre cette étude en utilisant des mesures implicites, telles que les techniques d’amorçage. Ces dernières permettent d’évaluer plus précisément la force du lien associatif entre la catégorie et les traits en dehors de tout contexte comparatif (Stangor et Lange, 1994) et de ce fait, de mieux cerner le contenu du stéréotype. Par ailleurs, notons que ces méthodes traditionnelles souffrent en elles-mêmes d’un certain nombre de défauts pouvant accentuer l’ambiguïté des résultats obtenus. Par exemple, Devine et Elliott dans leur étude sur l’évolution des stéréotypes envers les Noirs, à propos des instructions données dans les études de Katz et Braly (1933) et celles utilisant cette méthode, parlent d’une « ambiguïté des instructions », pouvant induire dans certains cas des réponses en termes de croyances plutôt qu’en termes de connaissances, et ce d’autant plus qu’il existe des préjugés envers le groupe étudié.”

“Toutefois, la spécificité du groupe auquel nous nous sommes intéressées peut aussi expliquer en partie nos résultats. En effet, il s’agit là de jeunes gens, certes, d’origine défavorisée, mais engagés dans un processus de mobilité individuelle. Le courage, le mérite et l’intelligence qu’ils s’attribuent et que d’autres étudiants leur attribuent reflètent cet aspect particulier. Sur ce point, il est important de ne pas perdre de vue que nos participants, tous étudiants, s’exprimaient également à propos de leur endogroupe. On sait que tout jugement négatif, en particulier concernant les caractéristiques positives et importantes pour l’endogroupe (ici par exemple l’intelligence), est menaçant pour ses membres. L’éviter est un bon moyen pour sauvegarder l’image valorisante de son groupe d’appartenance. Poursuivre cette recherche auprès de jeunes qui ne sont pas engagés dans des études supérieures est une autre voie qui nous semble indispensable afin de lever certaines ambiguïtés et de mieux cerner le contenu de stéréotype des étudiants d’origine défavorisée. Tout comme sur un plan plus général, il nous semble indispensable d’étudier plus systématiquement les contenus des stéréotypes dans toute recherche consacrée à l’analyse de leurs conséquences.”

Tâche#

1- Les stéréotypes déclinés supra vont semblent ils pertinents dans le contexte de l’Enseignement supérieur français ?

2- Existerait-il, selon vous, d’autres stéréotypes singuliers au contexte de l’Enseignement supérieur français ?

3- A partir du Site web reducing the stereotype threat et/ou de la synthèse de Fabrice Gabarrot et/ou du présent document, établissez une courte synthèse de ce qu’est la menace du stéréotype.

4- A partir de l’article de Desert, Croizet et Leyens (2002) La menace du stéréotype : une interaction entre situation et identité, identifier des remédiations possibles à la menace du stéréotype.

Références#

Sur internet#

Articles#

  • Berjot, S., & Drozda-Senkowska, E. (2007). Comment les étudiants se perçoivent-ils en fonction de leur origine sociale? Etude de contenu du stéréotype. Revue Européenne de Psychologie Appliquée, 57 (2), 119-132.

  • Desert, M., Croizet, J. C., & Leyens, J. P. (2002). La menace du stéréotype: une interaction entre situation et identité. L’année Psychologique, 102 (3), 555-576.

  • Good, C., Aronson, J., & Inzlicht, M. (2003). Improving adolescents’ standardized test performance: An intervention to reduce the effects of stereotype threat. Journal of Applied Developmental Psychology, 24 (6), 645-662.

  • Steele, C. M., & Aronson, J. (1995). Stereotype threat and the intellectual test performance of African Americans. Journal of Personality and Social Psychology, *69 (5), 797.