La surveillance numérique des étudiants lors des examens#

Informations

  • Document

  • Auteurs : Philippe Dessus, Inspé & LaRAC, Univ. Grenoble Alpes.

  • Date de création : Octobre 2021.

  • Résumé : Ce Document donne quelques éléments sur les moyens de prévenir l’externalisation du travail universitaire, c’est-à-dire le recours à des tierces personnes lors de la passation des examens (que ce soit via leurs écrits : le plagiat, ou elles-mêmes : recourir à de l’aide). Il détaille les avantages et inconvénients des systèmes surveillant les étudiants à ce propos.

  • Voir aussi : Le Document Écrire des questions d’examen à l’épreuve de la tricherie.

Informations supplémentaires
  • Note : Ce Document a bénéficié des commentaires de Timothée Liotard et Lucie Metz.

  • Durée de lecture : 10 minutes.

  • Date de modification : 28 mars 2024.

  • Statut du document : Terminé.

  • Citation : Pour citer ce document : Auteur·s (Date_de_création_ou_de_révision). Titre_du_document. Grenoble : Univ. Grenoble Alpes, Inspé, base de cours en sciences de l’éducation, accédé le date_d_accès, URL_du_document.

  • Licence : Document placé sous licence Creative Commons : BY-NC-SA.

Introduction#

Dans certains moments de leur vie universitaire, comme les examens, les étudiants font l’objet d’une surveillance accrue : les règlements des études des universités prévoient souvent, par exemple, qu’ils doivent présenter une preuve d’identité avec photo, laisser leurs sacs à l’entrée de la salle d’examen, ne pas avoir de calculatrice, ne pas communiquer avec des voisins ou avec une personne à l’extérieur, etc. Leur comportement pendant les épreuves est surveillé par un enseignant ou un membre du personnel administratif. Cette surveillance est considérée comme normale et ne portant pas atteinte aux libertés fondamentales des étudiants. Globalement, elle a un but principal : contrôler que les étudiants n’externalisent pas leur examen, c’est-à-dire recourent à une tierce personne pour les aider, voire passer l’examen à leur place.

Avec la venue, successivement, de l’enseignement à distance, d’internet et plus récemment de l’augmentation de l’utilisation de moyens numériques dans l’enseignement universitaire, des outils numériques sont venus compléter la panoplie de la surveillance étudiante, souvent à des coûts importants. Comme le signalent notamment Bretag et ses collègues [Bretag et al., 2018], la possibilité de tricherie s’est accrue avec la massification et l’internationalisation de l’enseignement supérieur : les universités, en devenant autonomes, se structurent comme des entreprises et rendent leurs différents services les plus compétitifs possible, avec une capacité de suivi des étudiants moindre : ce n’est donc pas étonnant que le proctoring (la surveillance des examens à distance) va se développer en même temps que les centres d’examen se ferment.

Toutefois, il n’est pas toujours aisé, pour les enseignants et les étudiants, de différencier ce qui peut être une pratique collaborative d’aide entre pairs (partage de ressources, travail en commun) de la tricherie caractérisée. C’est ce que montrent Higbee et Thomas [Higbee & Thomas, 2002], dans une étude où elles ont questionné plus de 400 étudiants et enseignants à propos de pratiques collaboratives plus ou moins nettement licites. (comme discuter d’un examen avec quelqu’un qui l’a déjà passé, collaborer à des devoirs à la maison, se faire corriger son travail) ; elles montrent que certaines de ces pratiques sont vues comme répréhensibles par les enseignants sans l’être par les étudiants (comme se renseigner sur un test).

Les moyens mis pour lutter contre ce problème sont inégaux selon les pays, et la France se situe 29e sur 33 pays européens, dans un score agrégeant formation, communication, prévention, utilisation de logiciels, types de sanctions et transparence par rapport à l’intégrité académique [lEurope, 2018] (le Royaume-Uni étant en tête de ce classement).

Il est intéressant de noter que dès la conception des premières “machines à enseigner” (machines mécaniques pour auto-corriger des QCM, voir [Watters, 2021]), en 1931, des étudiants se sont élevés contre “une culture universitaire qui est devenue si focalisée sur la passation de tests et sur la tricherie” ([Watters, 2021], p. 55).

Ce Document évoque quelques-unes de ces pratiques, qui sont très variées, les outils pour les favoriser ou les prévenir, et détaille les problèmes de respect de la vie privée qu’ils posent.

Les pratiques d’externalisation du travail universitaire#

Faisons ici le point sur les formes de tricherie fondées sur l’externalisation du travail (i.e., au sens large, l’appropriation d’un travail qui n’est pas le sien). L’accessibilité, le partage, via internet d’un grand nombre d’informations ; l’anonymat dans les examens en ligne, tout cela favorise ce qu’on peut appeler l’externalisation du travail universitaire (outsourcing). D’un premier abord, copier soi-même le travail d’autrui (plagier), d’un second abord, qui est de plus en plus répandu, recourir à des tierces personnes, qui, en tant que service souvent payant, pour réaliser ou aider à la réalisation d’un travail universitaire.

Définitions et prévalence#

[Bretag et al., 2018] montrent que les pratiques d’externalisation sont nombreuses. Outre le plagiat, il y a le “contract cheating” (que nous pourrions traduire par tricherie par recours à tierce personne), où les étudiants soumettent à évaluation, pour passer une Unité d’enseignement, un travail qu’ils ont fait réaliser par une tierce personne (e.g., des individus, des plate-formes), moyennant de l’argent.

Une enquête de [Bretag et al., 2018] s’intéresse au contract cheating auprès d’étudiants Australiens (N = 14 000, ibid.) :

  • Vendre, acheter, ou échanger des notes de cours (15,3 %);

  • Fournir un devoir à un pair pour une évaluation (pour quelque raison que ce soit) (27,2 %) ;

  • Récupérer un devoir pour une évaluation et le soumettre en tant que travail personnel (2,2 %);

  • Fournir une aide pendant un examen (3,1 %);

  • Recevoir une aide pendant un examen (2,4 %) ;

  • Passer un examen à la place de quelqu’un (0,5 %) ;

  • S’arranger pour que quelqu’un passe l’examen à sa place (0,2 %).

Les mêmes auteurs montrent aussi que ces pratiques ne sont pas considérées comme également répréhensibles de la part des étudiants : la première est à peu près à égalité considérée, ou pas, comme de la tricherie, ce qui est confirmé par le travail de Guibert et Michaut [Guibert & Michaut, 2009] montrant que 62 % des étudiants français interrogés disent avoir déjà donné une réponse à une question à un collègue pendant un examen.

Un résultat intéressant issu du travail de Guibert et Michaut [Guibert & Michaut, 2009] montre que, paradoxalement, ce sont les meilleurs étudiants qui trichent plus que les étudiants de faible niveau à l’université. Les premiers, en général, ne trichaient pas dans le second degré et se sont mis à cette pratique dans le supérieur parce que c’était plus facile et leur permettait d’avoir de meilleures notes. Par opposition avec les étudiants plus faibles qui, eux, ne s’attendent pas à bénéfice suffisant de la tricherie, comparé à son risque.

Le problème avec les études précédentes est qu’elles se fondent sur des questionnaires, où il est difficile d’énoncer, même dans l’anonymat, des pratiques répréhensibles (biais de désirabilité). Et des méthodes d’enquête où des consignes engagent les participants à dire la vérité (e.g., en leur précisant que leurs réponses seront contrôlées et qu’au cas où ils disent la vérité des dons seront réalisés), Le travail de Curtis et ses collègues [Curtis et al., 2021], sur plus de 4 000 étudiants australiens montre que cette méthode multiplie le taux de prévalence de la tricherie par 2,5.

Les moyens de surveiller la tricherie#

Nous l’avons dit, de nombreuses compagnies se sont lancées dans la surveillance de la tricherie des étudiants. Nous employons ce mot volontairement, plutôt que de parler, comme cela est souvent fait, de “prévention” ou de “contrôle”, voire d’“anti-plagiat”. En effet, ces systèmes n’empêchent pas la tricherie de se réaliser (de la même manière que les caméras de vidéosurveillance n’empêchent pas les crimes de se produire). Le lecteur intéressé à cette question pourra consulter Boubée et Simonnot (2019).

La surveillance du plagiat#

Les moteurs de recherche classiques, par ailleurs, permettent de procéder à des vérifications de similitude avec d’autres sources supposées, intégrant ainsi cette détection dans le processus évaluatif. Leur fonctionnement est simple : ils détectent les similitudes entre les phrases (ou propositions) des travaux et celles disponibles sur internet ou leur plate-forme (travaux précédemment analysés). Toute similitude détectée est signalée et un score de similitude global est calculée (bien évidemment, plus le score est élevé plus le travail sera suspecté de plagiat (attention, un faible score ne dédouane pas nécessairement le travail, puisqu’il existe des stratégies pour gêner les détecteurs dans leur comparaison, par exemple en insérant des caractères invisibles).

Des services ont été créés pour rendre cette vérification plus aisée, mais très souvent payante (voir Turnitin, Compilatio, parmi les plus connus, voir Navamuel, 2021 pour une liste plus exhaustive). D’autres services n’ont pas tardé à être créés, en retour, d’une part pour proposer ces outils de détection aux étudiants (voir Compilatio Studium), d’autre part pour aider directement à produire des travaux à l’épreuve de ces derniers logiciels (Trustmypaper). Nous pouvons donc constater une sorte de “course à l’armement” : les étudiants se mettent à considérer que si leur travail “passe” le logiciel, alors il est exempt de plagiat (c’est à dire d’emprunt d’idées sans référence), ce qui est loin d’être toujours le cas (voir Myers 2022).

Du côté juridique, le point le plus problématique concernant la surveillance du plagiat est le fait que le travail des étudiants est fourni à un service d’une entreprise externe à l’université, qui les analyse et se sert de cette analyse pour améliorer son service (le logiciel ne compare bien évidemment pas uniquement les travaux avec les informations disponibles sur internet, mais les compare également avec les autres travaux autorisés du même établissement).

Comme l’indique Brinkman [Brinkman, 2013], tout étudiant peut attendre que l’institution universitaire dans laquelle il étudie considère son travail comme des “données personnelles”, et qu’elle s’engage à les protéger autant qu’elle le ferait pour ses notes ou son numéro de sécurité sociale. Si un système de plagiat est utilisé, il serait également attendu que les étudiants soient pleinement informés de cela, et des implications qu’il en découle. Par exemple, la durée de conservation des travaux analysés dans la plate-forme de surveillance devrait être clairement mentionnée et le système conforme au RGPD (Règlement général sur la protection des données). Une enquête sur Compilatio montre que tout étudiant peut faire valoir ses droits liés au RGPD via l’enseignant qui a commandité l’analyse.

La surveillance à distance (proctoring)#

Nous passons ici à un niveau de surveillance supérieur, tant il est ici question de surveillance globale d’examen en ligne, par de multiples dispositifs qui, en ajoutant leurs informations respectives, posent d’importants problèmes éthiques et de protection de la vie privée. Notons que ces dispositifs sont employés depuis quelques années dans les MOOC (Massive Open Online Courses), pour délivrer des certificats de réussite payants, et donc s’assurer que c’est bien le participant inscrit qui répond aux questions certificatives. Il existe de nombreuses entreprises vendant de la surveillance à distance d’examens, comme TestWe ou ProctorU, et le navigateur Safe Exam propose différents moyens de restreindre l’utilisation d’autres fenêtres ou applications que celle sur laquelle l’examen se déroule.

La question de la protection de la vie privée est évidente : les systèmes de proctoring sont intrusifs, car ils surveillent le navigateur internet de l’étudiant, différents paramètres de son corps (micro-expressions faciales, regard) et de son environnement de travail (absence d’“anti-sèches”), les appareils connectés au même réseau wifi que l’ordinateur, la vitesse de saisie, etc. La moindre anomalie détectée peut entraîner à tort une suspicion de tricherie. Plus problématiques encore, ils sont inégalitaires, tant les systèmes d’analyse sont entraînés pour scruter l’étudiant “moyen”, et tout écart à cette moyenne peut être considéré comme suspicieux. Sans compter que ce dispositif nécessite une excellente connexion internet et un ordinateur plutôt performant : en somme, l’étudiant passant un examen en présence n’a besoin en général que d’un stylo et (parfois) une calculette ; le même examen surveillé à distance nécessite un budget bien plus conséquent, et de ne rencontrer aucun problème technique pendant tout le temps de l’examen.

Il a été montré que les étudiants passant un examen surveillé à distance rapportent de l’anxiété à être constamment surveillés (notamment ceux ayant déjà hors examen un niveau d’anxiété élevé), amenant de moins bonnes performances et donc des notes plus basses [Woldeab & Brothen, 2019]. Mais une étude récente [Halem et al., 2020] a assigné aléatoirement la moitié des 600 étudiants d’un cours de statistiques dans un examen surveillé à distance, l’autre moitié le réalisant dans une salle du campus, sur ordinateurs, afin que l’épreuve soit identique toutes choses égales par ailleurs. Les résultats montrent, déjà, que la proportion d’étudiants qui passe l’examen en présence est de près de 20 points supérieur à celle passant l’examen surveillé : les différentes étapes de préparation et de vérification avant examen en décourageant beaucoup (l’article parle de barrières d’implémentation). En revanche, aucune différence significative en termes de performances ou de temps passé dans l’épreuve, ni en termes d’anxiété ou de motivation n’a été trouvée.

Le principal problème de la surveillance à distance viendrait donc, outre les questions liées à la protection de la vie privée, aux nombreux obstacles d’implémentation de la surveillance.

Conclusion#

La prévalence de la tricherie aux examens dans l’enseignement supérieur est aux alentours de 10 %, s’il est normal que les institutions universitaires se dotent de moyens pour lutter contre ce phénomène, elle doit le faire dans le respect des règlements existants (notamment le RGPD), en informant clairement les étudiants, et en les assistant de près, notamment pour les systèmes de surveillance lourds (proctoring). Des formations à l’intégrité académique peuvent aussi être utiles [Belter & Pre, 2009]. Sinon, ce sont les étudiants ayant les conditions matérielles et techniques les plus difficiles, ou des besoins particuliers, qui feront les frais de cette surveillance.

Dans les cas où il est possible de se passer de ces services, le recours à des principes comme ceux exposés dans le Document Écrire des questions d’examen à l’épreuve de la tricherie pourra être judicieux.

Webographie#

Références#

Belter & Pre, 2009

Belter, R. W., & du Pré, A. (2009). A strategy to reduce plagiarism in an undergraduate course. Teaching of Psychology, 36(4), 257-261. doi:10.1080/00986280903173165

Bretag et al., 2018(1,2,3)

Bretag, T., Harper, R., Burton, M., Ellis, C., Newton, P., Rozenberg, P., … van Haeringen, K. (2018). Contract cheating: a survey of australian university students. Studies in Higher Education, 44(11), 1837-1856. doi:10.1080/03075079.2018.1462788

Brinkman, 2013

Brinkman, B. (2013). An analysis of student privacy rights in the use of plagiarism detection systems. Sci Eng Ethics, 19(3), 1255-66. URL: https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/22618162, doi:10.1007/s11948-012-9370-y

Curtis et al., 2021

Curtis, G. J., McNeill, M., Slade, C., Tremayne, K., Harper, R., Rundle, K., & Greenaway, R. (2021). Moving beyond self-reports to estimate the prevalence of commercial contract cheating: an australian study. Studies in Higher Education, pp. 1–13. doi:10.1080/03075079.2021.1972093

lEurope, 2018

de l'Europe, C. (2018). Étude des politiques d'intégrité dans l'enseignement supérieur en Europe du Sud-Est (vol. 5). Conseil de l'Europe.

Guibert & Michaut, 2009(1,2)

Guibert, P., & Michaut, C. (2009). Les facteurs individuels et contextuels de la fraude aux examens universitaires. Revue Française de Pédagogie, pp. 43–52. doi:10.4000/rfp.1404

Halem et al., 2020

Halem, N., Klaveren, C., & Cornelisz, I. (2020). The effects of implementation barriers in virtually proctored examination: a randomised field experiment in dutch higher education. Higher Education Quarterly, 75(2), 333-347. doi:10.1111/hequ.12275

Higbee & Thomas, 2002

Higbee, J. L., & Thomas, P. V. (2002). Student and faculty perceptions of behaviors that constitute cheating. NASPA Journal, 40(1), 39-52. doi:10.2202/1949-6605.1187

Watters, 2021(1,2)

Watters, A. (2021). Teaching machines. Cambridge: MIT Press.

Woldeab & Brothen, 2019

Woldeab, D., & Brothen, T. (2019). 21st century assessment: online proctoring, test anxiety, and student performance. International Journal of E-Learning & Distance Education, 34(1).